Moisson d’une pause (9) : il n'y a plus de kiosque sur la place
Dans le déménagement, j’ai retrouvé sur une cassette audio un enregistrement de près de vingt ans, que je n’avais jamais écouté parce que j’en possédais ce que je pensais être sa transcription intégrale par mon cousin JP. En voulant vérifier que cette vieille bande était encore audible, je suis tombée sur un extrait de la conversation qui m’a révélé qu’il en avait transcrit les grandes lignes de l’histoire familiale, pas les détails. Or, ce sont précisément ceux-ci qui font le sel d’une chronique et certains peuvent même orienter les recherches généalogiques.
A sa décharge, notons que JP était ce jour-là en mission commandée par son frère Victor-le-baroudeur qui, après des années de reportages autour du monde, éprouvait le besoin d’en découvrir un peu plus sur ses racines. JP, lui, ne s’en préoccupait guère même s’il interviewait ses deux tantes, ma marraine et ma mère, avec gentillesse. Notons que la première séjournait à l’époque en maison de repos mais conservait une mémoire et une vivacité d’esprit rarement prises en défaut malgré ses 91 ans.
De leur récit, avec le recul de mes propres recherches, je peux dire aujourd’hui qu’elles se sont quand même allègrement emmêlé les pinceaux entre leur arrière-grand-père Jean Simon ENGLEBERT et leur grand-père Alphonse Théodore Joseph (qu’elles n’avaient connus ni l’une ni l’autre et dont elles ignoraient les prénoms), leur attribuant respectivement trois et sept enfants, quand ils en eurent sept et neuf. Lequel des deux avait fait la guerre du Mexique dans la légion belge n’était pas des plus clair non plus. Par contre, j’ai appris la cause de la mort en bas âge d'une soeur de mon grand-père (méningite) et très long sur les pérégrinations de mes grands-parents maternels entre Liège, le Nord de la France, à nouveau Liège, Bruxelles, Charleroi et à nouveau Bruxelles, où ils finiraient pas se fixer.
Ma tante n’avait, en particulier, oublié aucun des noms des cafés et restaurants où travailla son père comme garçon ou maître d’hôtel et ce n’est pas sans émotion que j’ai retrouvé une carte postale ancienne montrant la « Taverne Centrale » sur la Place Charles II à Charleroi, où il travaillait durant la guerre de 14, à deux pas de l’Hôtel de Ville occupé par les Allemands. A la comparer avec les photos de famille, il n'est pas du tout impossible d'ailleurs que le garçon à droite sur la terrasse soit précisément mon grand-père. Mais pourquoi diable ce drapeau noir à l'une des fenêtres de l'immeuble ?
Une autre carte postale datant du début du siècle témoigne qu’un kiosque animait le centre de cette même place et je me demande s’il ne s’agit pas précisément du fameux kiosque devant lequel, à 4 ans, mon oncle J. avait eu la révélation de son amour pour la musique en s’instituant chef d’orchestre.
La ville a bien changé ensuite. Lieu central de la "ville haute", la Place Charles II s’apparentait jusqu'il y a peu à un bruyant carrousel de voitures. L’Hôtel de Ville a renoncé à sa modestie initiale pour se parer, dans les années 30, des atours monumentaux de l’Art Déco, mais, tout à côté, subsiste l’immeuble (désormais rouge) qui abritait la « Taverne Centrale ». Ma tante et mes grands-parents auraient assurément bien du mal de reconnaître la conviviale place de province où ils subirent un terrible bombardement, au terme duquel mon grand-père attrapa une pneumonie pour avoir couru sous une pluie battante au secours des blessés du marché qui s'y tenait ce jour-là. Il n’est pas impossible que cette pneumonie fit le lit de la tuberculose qui l’emporterait quinze ans plus tard.