Adieu formidable Athéna !
Elle portait un nom de guerrière. Un nom de sage aussi. Elle était les deux.
Guerrière, parce qu'elle avait débuté dans la vie sans beaucoup de chance. Un pedigree, certes, mais un premier maître puis un second, pourquoi ? Un troisième ou plutôt un couple de jeunes drogués qui, semble-t-il, l'aime bien mais ne prend pas la peine de l'éduquer, la laisse vivre sa vie de chiot dans le jardin et, surtout, la néglige. Au point que lorsque l'association de sauvetage des dobermans la récupère dans un état de dénutrition sévère, elle ne pèse que 17 kg pour une taille désormais adulte. On lui voit les côtes, chaque vertèbre de la colonne, elle fait pitié. Mais c'est une battante, c'est une joyeuse. Mes enfants et moi allons la chercher au château de Versailles (excusez du peu !) un matin d'avril, il y a très précisément douze ans. C'est le coup de foudre immédiat. Comme celui que nous avions eu huit ans plus tôt pour une autre doberwoman, abandonnée et battue elle, la belle Fidji qui nous avait fait découvrir les particularités rares de cette race de chiens aussi intelligents que tendres et fidèles. Son départ nous avait laissés désemparés. Huit mois plus tard, nous nous sentons près à accueillir une nouvelle malheureuse.
Les débuts sont difficiles. Les enfants sont adultes désormais, ils n'habitent plus avec nous et Papiloup comme moi avons un peu-beaucoup perdu de vue que nous avons désormais près de dix ans de plus qu'au moment où nous avions accueilli Fidji. Laquelle était devenue une vieille chienne paisible et douce, facile à promener, même si elle se déchaînait toujours avec vigueur si d'aventure nous venions à croiser un homme corpulent qui lui rappelait sans doute son ancien tortionnaire. Athena, elle, est jeune et vive et vigoureuse depuis qu'elle mange à sa faim. Elle ne connaît ni les voitures, ni les vélos. En promenade, elle saute sur tout ce qui bouge et ne prétend faire ses besoins que dans le jardin, même si nous nous baladons longuement dans le bois voisin. Les promenades sont "sportives". Nous marchons d'un bon pas tous les sens en alerte car, malgré les cours d'obéissance et d'agility auxquels elle participe avec ma fille, tout croisement d'un congénère provoque immanquablement des crises d'agressivité qui terrorisent les maîtres des petits chiens pépères et indignent ceux de chiens plus imposants. A deux reprises aussi, Athena me flanque par terre, en tirant brusquement sur sa laisse pour bondir sur une voiture ou un canard. Il faut se rendre à l'évidence : nous ne sommes plus à la hauteur du tempérament de feu de notre belle.
Or, il se fait qu'à ce moment-là, Louve Chérie perd de maladie la gentille chienne berger allemand qu'elle avait recueillie un an plus tôt après un abandon. La solution s'impose : Athena ira vivre avec celle qu'elle connaît bien, qui lui enseigne l'obéissance et avec qui elle s'éclate à l'agility. Athéna ne sera plus notre chienne que par intermittence, pour quelques jours, un week-end, de courtes vacances, mais une chienne toujours contente de nous voir, joyeuse, dynamique et de plus en plus "vivable". Une chienne heureuse, qui acceptera avec bonheur et beaucoup de philosophie toutes les activités, tous les changements, tous les nouveaux compagnons qui émailleront ces douze années passées dans notre famille.
Début avril, ma fille avait publié sur son compte Facebook, un hommage déchirant à cette compagne hors du commun. Quelques jours plus tard, Athéna s'en allait. Le vide est immense. A nouveau.
« Je suis vieille. J'ai 104 ans à votre échelle humaine.
Durant toutes ces années, j'ai bien du aboyer un demi million de fois sur tous ces chiens qui me défiaient depuis le trottoir d'en face, sur ces humains qui ne daignaient s'écarter à mon passage et sur ces motos vrombissantes qui semblaient me prendre pour cible.
J'ai pincé quelques fesses, moelleuses et rebondies... sans crier gare, sans prévenir, subrepticement. Juste le temps de s'en rendre compte, j'avais déjà filé loin de la réprimande.
J 'ai volé quelques morceaux de chocolat, sectionné quelques ceintures de sécurité et démoli un stock inépuisable de coussins.
J'ai fait plusieurs auberges avant de trouver ma famille, et j'ai mis du temps à comprendre que je pouvais rester. J'ai mis du temps à comprendre, et à vous comprendre. Je ne savais pas vous « lire », je ne savais pas « parler ». J'avais pourtant près de 2 ans.
Je suis jeune.
Je suis jeune et en pleine forme malgré mes 18 kilos tout mouillés... et j'ai une soif de vie, une soif de profiter de tout, tout le temps.
Je suis jeune.
Je suis jeune et je suis joyeuse.
Je ne connais rien à la vie et veux tout découvrir.
Ecouter, analyser, réfléchir et comprendre... ça nous en a demandé des efforts pour y arriver, mais on n'a rien lâché.
Seules mes pulsions et mes envies me font avancer, je dois apprendre à les canaliser, apprendre à vivre AVEC les autres, à vivre AVEC ma famille.
Je suis jeune.
Je suis joyeuse.
Et je suis belle.
Quelques kilos de pris, et me voilà « taille mannequin ». Hissée sur mes échasses, j'ai un corps d'athlète. Du muscle, de la puissance et de la souplesse. On m'admire, on me regarde. On me craint, et j'en profite un peu. Les « étrangers » n'ont qu'à bien se tenir. Je suis un chien de protection, alors je protège : ma famille, ma voiture, mon trottoir, mon terrain, mes petits "frères"... Gare à celui qui s'approche.
Mais j'ai un coeur
Un coeur énorme
Un coeur que j'offre à ma famille. Collée à eux, je ne veux en être séparé. J'ai fini par poser mes valises et ne compte plus changer d'auberge. Je veux rester ! Je suis leur ombre, dans la cuisine, aux toilettes, dans la salle de bain, dans le canapé avec la tête posée sur leur ventre, à table, la tête sur leurs genoux, dans la voiture, la tête sur leur épaule.
Mais j'ai un coeur
Un coeur énorme
Un coeur que je mets dans toutes les activités. OB, agility, frisbee, défense, vélo, tricks... tout m’intéresse, tout me motive.
Je suis rapide, je suis réactive, je suis une gazelle... mais je suis aussi une tête brûlée et une tête de mule. Je comprends vite ... mais j'ai une telle soif de profiter que je ne peux m’empêcher de faire ce que je veux. Je suis « folklore », « farce », « imprévisible » ... « instable ».
Je suis jeune.
Je suis joyeuse.
Je suis belle.
Et je suis aimée. On me caresse, on m’embrasse, on me pétrit d'amour, on m'emmène partout, on me pardonne beaucoup. Et puis ... un jour, ... je tombe en me levant. J'ai 10 ans. Déjà !
Mes pattes ont du mal à se coordonner et mon masque noir blanchit. Des boules poussent sur mon corps galbé, il se déforme, se ramollit, maigrit. Tu m'appelles « ma boulette ». Mon regard se voile, tu m'appelles « princesse bleue ».
Mon audition s'envole. Je ne te situe plus au loin, je te cherche. J'ai 11 ans.
J'ai perdu le sens des limites, oublié les règles de vie, je vis à nouveau selon mes pulsions et mes envies. J'ai 12 ans.
Je ne sais pas toujours si c'est le jour où la nuit, ne sais pas toujours ce que je dois faire, je ne comprend pas, je ne sais plus. J'ai 13 ans.
Je suis moins joyeuse, je suis dans une bulle, je sens que quelque chose ne va pas, je sens que je change... et je ne veux pas.
Alors je continue à galoper en promenade, je continue à aboyer sur les rôdeurs imaginaires, je continue d'éventrer mes coussins, je continue à jouer sans modération avec mon petit "frère", continue à poser ma tête sur les genoux de ma famille, parce que j 'existe, parce que je suis là.
Je me couche sur mon "frère" qui a pris ma place dans le canapé, je lui prend la balle qu'il tient dans sa gueule, lui vole l'os qu'il essaye de manger tranquillement, je m'impose, parce que je suis vielle, parce que j'existe, parce que je suis là !
Je dors beaucoup, je fais quelques malaises, je tremble sur mes jambes, je fais pipi au lit. Mais je suis là ! Et je vis. Jusqu'au bout, je me batterai sans me plaindre. Parce qu'on m'a donné une deuxième chance, parce qu'on a compris mes maladresses, parce qu'on m'a pardonné mes erreurs, parce qu'on m'a permis de vivre sereinement, parcequ'on m'a permis de vivre intensément, parcc qu'on m'a permis de vivre, tout simplement. Et parce qu'on m'accepte, maintenant, avec mes « pertes d'autonomie ».
Les 14 ans, se rapprochent chaque jour un peu plus. J'ai peur »
Athéna, 13 ans et demi