Bon vent, Gérardine !
Elle aurait eu 102 ans le 12 janvier prochain. Elle a été incinérée hier. Elle est morte à l’hôpital quelques jours avant Noël. Sans souffrir. Elle s’est éteinte comme s’éteint une bougie arrivée à son terme. Tout doucement, sans faire de bruit. Comme elle avait vécu.
Alors que nous avons été quasi-voisines durant des décennies, nous ne connaissions Gérardine que depuis quelques années, à un moment où nous n’habitions plus la même ville. Il avait fallu qu’elle entre dans la maison de repos où Louve-Chérie était adjointe à la direction pour que son nom de famille attire l’attention. De questions en souvenirs, il était alors rapidement apparu que Gérardine descendait tout comme nous de Jean Simon –dont nous ignorions toujours le prénom à l’époque- elle de sa troisième épouse, nous de la première. Maman avait, par contre, entendu parler de son grand-père, car la sœur de celui-ci était sa marraine Elise.
En même temps que Gérardine, nous nous sommes découvert un vaste pan familial dont nous ignorions tout : son grand-père eut, en effet, sept enfants qui, tous, à l’exception de ses propres parents, en eurent plusieurs. Elle avait donc une ribambelle de cousins germains et de cousines mais, au final, ne s’étant jamais mariée, à part une cousine par alliance, elle se retrouvait isolée dans sa maison de repos. Nous étions donc sa seule famille, au demeurant fort peu présente puisque nous n’étions plus voisines depuis longtemps.
Au printemps 2012, Maman, Louve Chérie et moi, étions venues lui rendre visite. Elle était presque aveugle et éprouvait beaucoup de difficultés à marcher, mais elle gardait l’esprit vif, meublant ses journées de musique classique et de rencontres avec sa voisine de couloir. Nous avions mangé un morceau de gâteau, dont elle était friande, en évoquant les souvenirs familiaux. Sachant que je m’intéressais à la généalogie, elle m’avait offert plusieurs photos de ses oncles et tantes lorsqu’ils étaient jeunes et m’avait demandé de venir la voir plus souvent. J’avais promis.
Je comptais bien la tenir, cette promesse ! Mais en été, l’accident de Papiloup avait monopolisé mon énergie et mon temps pour six mois au moins. Je m’étais quand même juré d’assister à la fête anniversaire de ses 101 ans, mais ce jour-là fut l’un des plus enneigés de l’hiver 2012-2013 et il n’eut pas été prudent de parcourir soixante kilomètres sans pneus adaptés. Très vite, ensuite, il fallut préparer le déménagement de Maman, puis un long boulot accapara toute mon attention. Bref, l’année s’est écoulée sans que nous allions la voir. Nous avions de temps à autre des nouvelles, par Louve Chérie d’abord, puis par ses anciennes collègues quand elle-même eut quitté la résidence d’Anderlecht pour celle de Rochefort. Et ces nouvelles étaient bonnes. Il était donc inscrit à l’agenda que le premier samedi de 2014, nous irions à trois lui souhaiter un excellent cent-deuxième anniversaire.
Gérardine n’aura pas eu la force de nous attendre et je n’aurai même pas eu l’occasion d’assister à ses funérailles car, hier matin, la voiture était indispensable pour conduire Belle Maman chez l’ophtalmo. Alors nous restons là, désemparées et un peu orphelines de cette arrière-arrière-petite cousine si peu, si mal connue. Elle n’en partageait pas moins avec nous une histoire familiale commune que je me réjouissais de compléter pour elle avec les dernières informations recueillies.
Le vent souffle fort, ce matin. Ce sont, semble-t-il, les prémices de la tempête Eric, qui succède à Dirk. Une tempête qui, mieux qu’un doux zéphir, dispersera les cendres légères de Gérardine, la rendant à l’espace et à la liberté. Bon vent, cousine Gérardine ! Où que tu sois, enfin débarrassée des maux de ce monde, je te sais, je te sens heureuse ! Et, même si cela t’importe peu désormais, sache que l’oubli n’engloutira pas ton nom puisque tu figures pour toujours dans la chronique et l’arbre familiaux.
Photo : notre dernière visite à Gérardine (2012), qui venait de fêter ses 100 ans.