Une expédition
Voilà longtemps que je ne m’étais rendue à Bruxelles en train, mais quand on veut rejoindre le centre, pas vraiment le choix !
Pour une fois, le train est à l’heure. Chance ! Je descends à Bruxelles-Schuman, au pied de la Commission européenne. Je ne reconnais rien. La gare souterraine est en pleins travaux. C’était nécessaire ! Durant les deux années où j’ai fait ce trajet quotidien pour rejoindre le magazine médical où j’étais secrétaire de rédaction, je n’ai connu son carrelage jaune des années 60 qu’encrassé de suie, ses accès au métro boiteux, ses couloirs traversés de courants d’air et ses voyageurs la mine contrite par tant de laideur, indigne de la capitale de l’Europe. C’est donc pour un mieux que l’on s’affaire ici. Sauf que bien malin qui s’y retrouve au premier coup d’œil : les escaliers ont été déplacés, les panneaux signalétiques provisoires installés à la va-vite. On reconnaît les navetteurs à leur pas assurés pour s’engouffrer dans tel couloir plutôt que tel autre et les occasionnels comme moi à l’hésitation qui est la leur devant des flèches indiquant une direction on ne peut plus vague. J’ai fini par demander si le métro était bien par là. Oui. Ouf !
Me voilà dans le nouvel escalier de béton. Raide. Autour de moi, la foule des travailleurs le dégringole à pas rapide. Je me tiens à la rampe. Mince ! Ce n’est pas seulement le monde qui a changé autour de moi, mes articulations aussi. Elles n’ont manifestement plus la souplesse qu’elles avaient il y a seulement huit ans. Et la montée de l’autre côté me semble bien plus ardue qu’au temps de mes allers-retours quotidiens.
Me voilà à l’entrée du métro. La numérotation des lignes et les destinations ont été modifiées mais pour y être née et y avoir vécu près de cinquante ans, je connais suffisamment Bruxelles pour ne pas m’y tromper. Par contre, signe des temps, les guichets ont définitivement disparu pour laisser place à un distributeur de tickets. A nouveau, bien malin qui s’y retrouve à la première utilisation. Les explications en trois langues, français, néerlandais, anglais, ne concernent qu’une carte magnétique, une espèce de pass électronique que je ne possède pas. Perplexité. A ma demande, un passant pressé me signale qu’il y a également moyen de payer par carte bancaire. Me revoici plantée devant la machine. Des dessins, des flèches, de mini-écrans, un bidule rond… pourquoi faire ? Je devine qu’il faut tourner la roue pour indiquer le type de ticket souhaité, un trajet, un aller-retour, une carte de cinq trajets ou de dix, etc., mais ensuite ? Le temps que j’introduise ma carte de paiement, l’opération s’annule. Une fois, deux fois, trois fois. Je me sens complètement idiote. Manifestement, quelque chose m’échappe. Faut-il désormais un QI de 140 pour circuler dans Bruxelles ? Je n’avais pourtant pas l’impression d’être entourée de surdoués dans le train, ce matin.
Nouvel appel à l’aide. L’homme est aimable mais non bruxellois et ne peut m’aider. Heureusement, un grand gars baraqué, casque aux oreilles, s’affaire sur la machine voisine et se voit délivrer son ticket sans difficulté. C’est lui qui viendra à mon secours : après avoir tourné la roue, il faut confirmer en appuyant dessus. Effectivement, un grand OK occupe son centre mais est-il tellement évident pour tout un chacun que le même bidule sert à tourner puis à pousser ou suis-je définitivement dépassée ? Ensuite, on recommence l’opération pour indiquer la quantité souhaitée. Enfin, seulement, il faut introduire sa carte, son code et recevoir son ticket. Merci ! Cette fois, j’ai compris. Mais cela irait tellement mieux si la marche à suivre était clairement expliquée.
La rame de métro arrive en même temps que moi. Elle n’est pas trop bondée. Je suis vernie ! Trajet sans histoire. Je descends à Parc/Park. Ici rien ne semble avoir changé depuis que je travaillais pour un mensuel familial aujourd’hui disparu qui avait son siège à deux pas d’ici. La remontée en surface est toujours aussi longue. Sauf que le premier escalator est à l’entretien. Va donc pour l’escalier. Bien haut. Un long couloir et, ouf, le second escalator est en état de marche. Je vais bientôt émerger en lisière de l’élégant Parc royal et, en ce jour de printemps enfin ensoleillé, je me réjouis déjà à l’idée de la balade que j’y ferai après mon rendez-vous. C’est alors que je sens mon sac, que je porte en bandoulière, légèrement bousculé. Je me retourne juste à temps pour voir un monsieur, la cinquantaine convenable, chemise-cravate et gabardine, retirant précipitamment sa main… heureusement vide. J’en reste bouche bée. D’autant plus que nous arrivons en surface, attention au dernier pas, et qu’il me dépasse aussitôt pour s’éclipser dans la circulation de la rue de la Loi.
Voilà bien un pickpocket que je n’aurais jamais soupçonné. Finalement, c’est vrai que si la famille semble actuellement sous l’influence d’une planète « voleuse », la chance est avec moi. Mes inconvénients ont été mineurs et résolus avec l’aide de quatre aimables passants, le voleur a sûrement eu plus peur que moi. Je suis arrivée à mon rendez-vous tip top à l'heure. Allons, la vita e bella ! Même si je commence à me demander si emprunter les transports en commun à Bruxelles est encore de mon âge ! (Je rigole !)