La loi des séries
De mon temps, on les appelait “feuilletons”.
Je sais, le terme est désuet, tout droit sorti du XIXe siècle, où les quotidiens populaires débitaient les romans en épisodes à découvrir jour après jour.
Bien qu’il fasse référence au papier, le terme subsista lorsque la radio se mit à diffuser, en ondes cette fois, des histoires à suivre. Et il se maintint de même dans les premières décennies de la télévision.
Aujourd’hui, on parle de “séries”.
Je sais, on m’objectera que, écrit, radiophonique ou télévisé, le feuilleton suppose des épisodes liés entre eux par une trame commune, alors que les séries proposent des histoires indépendantes n’ayant pour seul lien entre eux que la présence d’un ou plusieurs personnages récurents.
Alors moi, je veux bien ! Mais il se fait que, de nos jours, la physionomie de la “série” s’apparente de plus en plus fréquemment à celle du feuilleton en ce que, si chaque épisode est effectivement indépendant de celui qui le précède et de celui qui le suit, les protagonistes, eux, évoluent au fil du temps. Et pas qu’un peu !
La fille de Navarro était une gamine un peu rondelette dans les premiers épisodes, une superbe jeune femme quand le vieux flic rangea son révolver. Idem pour les filles de Julie Lescaut qui avait divorcé dans l’intervalle, eut une longue liaison avec le (charmant) père d’un (insupportable) ado, avant d’adopter un gamin devenu orphelin pendant l’une de ses enquêtes.
Et “Urgences” ! Vous vous souvenez d’Urgences, du séduisant Dr Ross qui allait devenir l’un des plus grand acteurs américains (What else ?), de ses collègues mais néanmoins amis, les Dr Green et Benton, et du gentil Dr Carter, le seul qui figura au générique pendant les… 15 années et 331 épisodes que dura la série? Pardon : le feuilleton. Car c’en était bel et bien un ! Certes, chaque tour de garde était différent, chaque cas médical aussi, mais ce qui passionnait vraiment le téléspectateur n’était-il pas la question de savoir si le Dr Green allait ou non succomber à sa tumeur au cerveau, si le Dr Susan Lewis arriverait à sortir sa soeur de la drogue, si le bébé de Carter survivrait, si le beau Dr Kovac arriverait à tuer les démons qui le hantaient depuis la mort de sa femme et de sa fille en Yougoslavie... Et, surtout, qui coucherait avec qui.
Les spécialistes parlent à ce propos “d’arc feuilletonant”. Tiens donc !
Cette longue digression lexicale pour en arriver au propos de ce billet : de qui se moquent les programmateurs TV ?
Voilà bien longtemps déjà que les soirées de certaines chaînes se débitent en un ou deux épisodes inédits d’une série suivi(s) de deux ou un épisode(s) d’une ou deux saisons précédentes. Cela fait parfois des successions détonnantes : là où le héros est en pleine dépression post-rupture dans les inédits, on le retrouve, visage plus lisse, crâne plus velu, deux saisons auparavant en train de faire une cour savamment dosée à la collègue qui l’a depuis laissé tomber. Et on a envie de lui hurler : “Fais gaffe ! Ca ne vaut pas le coup !”
Mais bon, le téléspectateur est prévenu : le programme indique très précisément le numéro des épisodes diffusés. Il peut donc préférer ne pas s’emmêler les pinceaux dans la chronologie et zaper le programme après le premier épisode (qui est en fait le dernier). Vous suivez ?
Mais là où le comble du ridicule semble atteint, c’est quand la chaîne programme d’une semaine à l’autre des épisodes d’une même “série” dans le désordre !
On eut ainsi droit, en janvier, aux quatre épisodes actuels de la série “Dame de…” avec Thierry Godard qui campe avec mestria un commissaire Martin dont la vie privée file en roue libre, avec les conséquences prévisibles sur sa vie professionnelles. Sauf que France 2 n’a rien trouvé de mieux que de diffuser le tout dans un désordre savamment orchestré puisqu’on eut droit à l’épisode 2 avant le premier et au 4 avant le 3. Du grand art !
On vit ainsi coup sur coup les fille et maîtresse du commissaire promener leurs marmousets avant de se retrouver enceintes, passer du brun au blond puis du blond au brun sans crier gare, on vit la psychologue de la police interprétée par l’excellente Micky Sebastian puis par une autre actrice avant de retrouver Micky Sebastian et, cerise sur le gâteau, le deuxième épisode contenait des séquences en flash back tirées de l’épisode 1, diffusée APRES celui-ci.
Bref, du grand n’importe quoi ! On prendrait les téléspectateurs pour des canards sauvages que ça ne m’étonnerait pas !