Dans la boîte à images
(c) Christophe Gillot
Jean Pierre Castaldi était enrhumé, je pense. Cela érayait sa voix par moment. En grand professionnel, cela ne l’a pas empêché, hier soir, de nous donner une fabuleuse leçon d’histoire du cinéma. Des origines aux années 60.
Dans sa « Boite à images » installée devant le Centre culturel de Rochefort, le public s’installe face à l’écran, autour des tables rondes d’un vieux bistrot. L’ambiance est naturelle, conviviale, pas guindée pour un sou. Le maître des lieux passe de l’une à l’autre, dit un mot aimable, répond volontiers aux questions.
Je ne pense pas avoir jamais vu un film avec le colosse. J’ai connu son ex-femme Catherine Allégret dès le palpitant « Compartiment tueurs » (1965) de Costa Gavras et son fils Benjamin bien avant lui, dans la présentation de l’une ou l’autre émission de télé-réalité que regardaient mes gamins à l’époque. Je ne l’ai jamais vu en maître de Fort Boyard, j’avais depuis longtemps décroché lorsqu’il est arrivé aux manettes.
Bref, je n’avais pas d’atomes particulièrement crochus avec ce comédien de 71 ans que je ne connaissais pas vraiment et dont le physique abrupt autant que le tonitruant franc n’avait pas grand-chose pour me séduire. Or, je dois reconnaître que je m’étais peut-être trompée. Alors, oui, il a la carrure de King Kong et une voix de stentor, mais sous sa carapace de vieux routards des plateaux télé, rompus à toutes les disciplines et toutes les peaux de banane, j’ai découvert un vrai passionné de cinéma et peut-être, au fond, un vrai rêveur et un vrai tendre.
Soyons clair : dans « La Boite à images », il joue un rôle. Celui du vieux projectionniste nostalgique. Il n’est ni l’auteur (François de Carpentries) ni le metteur en scène (Karine Van Hercke) de ce spectacle qui mêle projections d’extraits de films et interventions des comédiens. Mais il le porte tout entier sur ses (larges) épaules. Et ce n’est pas rien ! Près de deux heures et demi de commentaires, dialogues, jeu d’acteur… Face à lui, la toute jeune comédienne Pauline Brisy, qui ne s’en laisse pas imposer par la stature du bonhomme et lui donne une réplique tout en nuances. Indispensables contrepoints à la présence monumentale du projectionniste, Christophe Delire est le comparse, modeste, sympa et un peu benêt, tandis qu’Aurélie Remy assure la régie, le montage des images et le petit rôle d’une historienne du cinéma passablement ennuyeuse.
Et puis, il y a les images. Celles d’avant nous et celles de notre jeunesse. Celles que nous connaissons tous et quelques autres : « L’arrivée du train en gare de la Ciotat », « L’arroseur arrosé », « Nosferatu », « Le voyage dans la lune » de George Meliès, la folle descente de la poussette sur les marches d’Odessa, Charlot dictateur jonglant avec le monde, mais aussi l’incendie d’"Autant en emporte le vent", la lancinante musique du « Troisième homme » et celle d’« Il était une fois dans l’Ouest », les fesses de Brigitte Bardot et la phrase culte qui clôt « Certains l’aiment chaud » : « Nobody is perfect ». Alors, se réveillent les émotions oubliées, alors s’insuffle, subrepticement, l’envie de revoir ces films d’hier, « Citizen Kane » et « Le Guépard », « Psychose » et « Vertigo », « Casablanca » et « Cabaret », « L’homme qui tua Liberty Valance », « La grande vadrouille » et « La planète des singes ».
Bien sûr, beaucoup manquaient au palmarès personnel des films les plus précieux au coeur de chacun des spectateurs, mais il fallait bien faire des choix, il fallait bien s'arrêter quelque part et "2001, Odyssée de l'Espace" offrait un final spectaculaire. "The artist" aurait cependant joliment bouclé la boucle.
Oui, décidément, la boîte à images est surtout une formidable boîte à rêves. D’initiative belge, elle tourne actuellement à Bruxelles et en Wallonie. En attendant la France ?