Derniers feux
Après un printemps précoce et un été pourri, le jardin lance déjà ses derniers feux. Parce que ce sont le dernier automne, le dernier hiver, que nous passerons ensemble, je n’en finis pas de me gaver d’images, de sensations, de souvenirs.
Ce noisetier flamboyant n’était rien qu’une baguette maigrichonne quand nous l’avons planté et rien ne permettait de prévoir à ce moment qu’il prendrait cette ampleur, cette hauteur, cette luxuriance, qui en font l’hôte le plus admiré de notre lopin. Même s’il ne nous a jamais offert ses noisettes qu’avec la parcimonie des authentiques grands seigneurs. Ce rosier écarlate ? Nous ne misions pas un sou sur sa survie. Il s’en venait remplacer un cytise, un robinier et un camélia, dont aucun n’avait survécu à l’humidité de notre argile. Mais cette « Dame de Cœur » se plut chez nous et mit son point d’honneur, ces dernières années, à être toujours la dernière à fleurir encore, jusqu’au cœur de l’hiver le plus rude.
Il y a ce fuschia, lui aussi écarlate, discret, persévérant, qui ne craint ni le vent d’ouest ni les franches gelées et s’épanouit à la fin de l’été en clochettes graciles dont l’angelot de (fausse) pierre aime se parer. Il y a les mini-pommes du malus, toujours abondantes, dont les merles se régalent tout l’hiver. Et de même… la chienne Athena. Il y a des pivoines et des phlox, des forsythias et des muscaris, des iris, des muguets, des cœurs de Marie, que nous ne verrons plus fleurir puisque nous serons partis au printemps, il y a des jaunes et des mauves que nous avons voulus voisins, des blancs, des ors et des pourpres, des insectes et des baies, rien de rare, mais une variété voulue de tons, de formes, de dates de floraison, qui préservent au jardin un charme renouvelé de saison en saison.
Ce jardin était notre œuvre. C’est lui que je regretterai le plus en partant vers d’autres horizons, pas vraiment lointains. Il faudra à nouveau rêver, imaginer, planter… Quelques années seront ensuite nécessaires pour que notre nouvel Eden prenne forme. Le verrons-nous jamais au faîte de son éclat ? C’est un pari risqué quand on est sexa. Un pari exaltant.