Apocalypse
Sur la cheminée de ma grand-mère, il y avait deux vases, dorés, brillants, d’une curieuse forme allongée, avec des décors gravés à volutes et deux dates : 1914-1918. J’ignorais alors qu’il s’agissait d’obus et qu’ils avaient été offerts à mon grand-père en souvenir de son frère Rodolphe, mort dans les premiers jours de l’offensive décisive des Flandres, c’est-à-dire dans les derniers jours de la guerre.
J’ignore ce que les deux vases sont devenus, mais il me plaît de savoir que d’engins de mort des artistes ont a pu créer des objets de décoration, beaux et profondément signifiants. Inversement, cela me fait mal de savoir que, la semaine dernière, deux ouvriers ont sauté sur l’un de ces obus oubliés, enterrés dans la terre meuble, où ils ont attendu près de cent ans avant d’exploser. Ironie de l’histoire : ces hommes venaient de Turquie et de Bulgarie, deux pays qui soutenaient l’Allemagne au temps du conflit. Et parce qu’ils ne sont pas belges, leurs familles ne seront pas indemnisées comme victimes de guerre mais seulement comme accidentés du travail.
Chaque année, des centaines d’obus sont ainsi retrouvés aux emplacements des anciens champs de bataille. C’était encore le cas hier matin à Incourt, en Brabant wallon. Nulle victime cette fois, mais les risques sont grands de connaître encore de nombreuses explosions à retardement tant le pays fut bombardé en ces temps de fureur et de rage, comme en témoigne ô combien cruellement la série « Apocalypse » du mal-nommé producteur Louis Vaudeville.
Lorsqu’elle est passée sur la RTBF, je n’avais pas souhaité regarder : je craignais d’être bouleversée par ce carnage des tranchées d’une guerre qu’on croyait la « der des der ». Mais les éloges recueillis m’ont incitée à changer d’avis lorsqu’elle a été programmée sur France 2 qui a déjà diffusé quatre des cinq épisodes. Et je ne le regrette pas. D’abord, parce que j’ai appris beaucoup de faits que l’ignorais ou n’avais jamais vraiment compris, mais surtout parce que le travail de récolte, de restauration, de colorisation et de sonorisation des films de l’époque nous donne à voir cette guerre avec une force d'évocation jamais atteinte, même par le cinéma, ne fut-ce que parce qu’il s’agit de témoignages authentiques et non de reconstitutions.
Alors, certes, difficile d’assumer le fait que tous ces jeunes hommes - soudainement si proches malgré les cent ans qui nous séparent - sont morts depuis longtemps, souvent tragiquement, parfois peut-être le jour-même où ils furent filmés ! Difficile aussi de savoir que leurs familles les ont pleuré, que leurs enfants ont grandi sans père et sont morts à leur tour parce qu’un siècle a passé. Mais, en même temps, la prouesse technique qui, un peu à la manière d’un journal télévisé, nous fait presque toucher du doigt le conflit et ses acteurs, nous offre surtout une formidable occasion de mieux « sentir » l’époque, la vie quotidienne des soldats embourbés dans les tranchées, l’angoisse, la souffrance et la mort. Dès lors, il me semble que c’est presque un devoir civique de regarder cette série. Elle ne peut, en effet, que distiller chez le spectateur une farouche volonté de Paix, donc de réconciliation à tous les niveaux de la société. Un message à réfléchir en ces temps d’élections françaises et bientôt belges et européennes !
NB. France 2 réduisant l'accès à ses bandes annonces pour les téléspectateurs étrangers, je ne peux vous proposer celle d'"Apocalypse". Dommage ! Plus que mes photos de famille, elle disait l'horreur.
Mon arrière-petit-cousin Auguste (portant la pancarte) était affecté au transport de munitions de l’Ouest de la Belgique vers Dunkerke et Calais. S'il s'en est sorti vivant, il est mort jeune, à 46 ans, des suites des privations de la guerre.
Les survivants : mon grand-oncle paternel, le parrain de mon père (sous la croix droite) et l'un de ses neveux (sous la croix à gauche) à Dieppe, au lendemain de l'Armistice