La carte de vœux
Il ne connaît pas la tradition des cartes de vœux. Ses parents n’en ont pas reçu. Enfin, si ! Des souhaits leur sont parvenus en masse, par carte virtuelle, par SMS, par e-mails, par FB… Mais, comme ils ne lui étaient pas adressés, comme il ne sait pas encore lire, ils lui sont passés inaperçus. Alors, quand il débarque chez nous, il s’étonne de toutes ces cartes affichées sur la vitre de la bibliothèque et les trouve jolies. C’est quoi, tout ça ? Nous expliquons. Le voilà attentif, le voilà triste. Lui n’en a pas reçu.
Plus tard, dans le bureau, il tombe sur la pile de cartes en attente d’être écrites et envoyées. À nouveau des questions. À nouveau nos explications. À nouveau un voile délicat de tristesse dans son regard. « Tu veux que je t’écrive une carte ? » Il dit oui. Je lui laisse choisir celle qu’il préfère. Ce sera celle avec le nounours qui a reçu un cadeau mais ne l’a pas encore ouvert. Est-ce parce qu’il reconnaît l’impatience du nounours qu’il a opté pour celle-là ? Il ne le dit pas. Sur la double page intérieure, j’écris un mot doux, tout simple, tout spécialement adressé à lui. Il me fait répéter plusieurs fois le message. Il est ravi et je m’émerveille de sa joie. Après tout, ce ne sont qu’une image et quelques mots d’amour !
Ainsi donc, cet enfant du troisième millénaire, familier des écrans, grands ou petits, lumineux, ludiques et interactifs, ce geek en devenir, peut encore se réjouir d’une simple image de Noël ! Il en a saisi tout le charme désuet et l’intention profonde. Il la contemple, un peu ému. Me promet de la garder précieusement. La glisse dans son sac entre deux boîtes de jeux pour ne pas la froisser.
S’il a été touché par la carte, je le suis au moins autant par sa ferveur. Moi aussi j’ai précieusement conservé la carte que ma grand-mère m’avait adressée quand j’avais à peu près son âge. À travers le temps, à travers la mort, elle me murmure que j’ai compté pour elle, l’aïeule depuis longtemps disparue, et c’est comme un signe réconfortant de l’au-delà. Petit Loup enverra-t-il un jour un paysage enneigé à quelqu’un qui serait son petit-fils ou sa petite-fille pour lui dire toute sa tendresse ? Je me prends à l’espérer.
Et comme je ne serai plus là pour m'en assurer, dès à présent, je vous souhaite une belle et heureuse année 2070, petits loups de mon Petit-Loup !
Soixante ans qu'elle dormait dans une boîte !