Rêvons un peu...
Pourquoi me suis-je éveillée dès potron-minet, ce matin-là ? La neige était tombée en abondance durant la nuit. Est-ce la qualité du silence quand la neige ouatine joliment le paysage ou un besoin pressant, plus précoce qu’à l’ordinaire ?
Quoi qu’il en soit, j’admirais le jardin immaculé dans la lueur bleutée de la nuit, quand m’est parvenu, côté rue, le raclement caractéristique des pelles sur le trottoir quand on s’occupe à le rendre praticable malgré le froid. J’ai soulevé la tenture pour voir quel voisin, de si bonne heure, s’affairait de la sorte à éviter les chutes aux passants. Il me faudrait, me disais-je, m’y atteler moi aussi le plus rapidement possible et cette perspective n’était pas faite pour me réjouir quand mon lit m’appelait de toute sa douceur. C’est alors que j’ai aperçu deux silhouettes emmitouflées, maniant pelle et brosse avec une efficacité éprouvée sur MON trottoir.
J’en suis restée bouche bée. A la lumière du réverbère, j’avais reconnu ma voisine Noëlla et notre petit voisin commun, Alex, 13ans. L’une devait bientôt partir pour le boulot, l’autre pour l’école, mais ils prenaient le temps de nous rendre ce service, sachant que Papiloup et son bras en compote auraient bien du mal à assumer cette tâche, qui me reviendrait donc.
Je suis allée me recoucher, émue, apaisée. Il y a donc sur terre des femmes et des graines d’hommes suffisamment généreux pour se soucier de la faiblesse des autres, alors même qu’ils ont leur propre trottoir à nettoyer, leur propre vie à mener ? Je dois à la vérité de dire qu’en d’autres temps, d’autres hivers, quand il était en pleine possession de ses moyens, Papiloup leur avait rendu ce même service, parce qu’il savait la pénibilité de ce travail pour des femmes seules et actives comme Noëlla et la maman d’Alex. Il n’empêche ! Nous ne nous attendions à rien, nous n’aurions pas trouvé anormal qu’ils s’abstiennent. Nous avons donc reçu leur aide comme un présent rare : celui de la solidarité dans un monde trop souvent égoïste et cruel.
J’ai pensé aux guerres, là-bas en Afrique et au Moyen-Orient, j’ai pensé qu’il était possible pourtant de s’entendre, de se respecter, de s’apprécier et, disons-le, de s’aimer, mais que beaucoup l’ignorent, sans doute parce qu’ils n’ont jamais été entendus, respectés, appréciés et aimés eux-mêmes.
Dans notre mini-lotissement, nous tentons de vivre en harmonie et, parfois, ce n’est pas facile, car des différences d’âges, de comportements et de mode de vie viennent perturber l’harmonie, mais les énervements ne dégénèrent jamais et les mains sont plus souvent tendues que fermées en poings. J’aime à rêver, qu’à l’aune de notre quartier, nous expérimentons une convivialité qui pourrait se révéler contagieuse et, pourquoi pas, s’étendre au monde entier.
Utopiste, va !
Et rebelote !