Furent-ils heureux ? (2)
L'abbaye de Beaufays
Pourquoi suis-je aussi réjouie de m’être trouvé un ancêtre bourgmestre ? Vanité de se savoir descendre de quelqu’un qui fut important, fût-ce à l’échelle de sa commune ? J’y ai pensé. Mais non ! C’est plus subtil que ça : je me réjouis… pour lui. Comme je me réjouirais d’un succès de Louve-Chérie ou du premier prix en dessin de Petit-Loup.
C’est, en effet, quelques décennies avant mon arrière-arrière-grand-père Jean Simon, le premier qui ne semble pas n’avoir travaillé que pour se sortir lui et sa famille d’une condition modeste voire misérable. Jusqu’à présent, je n’étais tombée que sur des journaliers, des sabotiers et des bûcherons, des tisserands et des cordonniers, des ferblantiers et des serruriers, tous métiers hautement respectables mais qui marquaient clairement l’origine populaire des différentes familles dont je suis issue. Leur illettrisme généralisé jusqu’au seuil du XIXe siècle et même parfois au-delà témoignaient de même d’une origine sociale peu enviable en ces temps où le petit peuple était soumis à tous les aléas des famines, des maladies et des guerres. Et si, besoin en était, le fait que mon ancêtre Pierre fut enterré au « cimetière des pauvres » ne laisse guère d’illusion sur la rudesse des conditions de vie à une époque pas si lointaine que cela, au fond.
Donc, voilà homme suffisamment libre de son temps, volontaire et énergique, pour se mettre au service de sa communauté en des temps pourtant fort agités puisque nous sommes au lendemain de la Révolution liégeoise de 1789-1791. Je me demande juste où ce « cultivateur » de Beaufays a pu acquérir l’instruction nécessaire pour assumer sa mission. Quoi qu’il en soit, un peu plus tard, son fils deviendra secrétaire communal.
Je me suis souvent interrogée sur la vie qu’on pu mener mes aïeux et le bonheur qu’ils ont pu connaître dans des conditions que l’on imagine difficilement aujourd’hui. Jusqu’à présent, je n’avais d’autres réponses que des dates d’actes d’état-civil qui n’égrainent que le bonheur des mariages et des naissances (mais en était-ce vraiment ?) et le malheur des décès d’enfants nouveaux-nés ou en bas âge, de jeunes mères, de pères dans la fleur de l’âge… Avec Jean Guillaume, je ne puis bien sûr affirmer qu’il connut une félicité sans tache, mais je sais qu’il ne se limita pas à survivre et que s’il trima sans doute dur comme la plupart de ses contemporains, ce fut un temps dans d’autres buts que le seul fait de gagner sa croûte puisqu’il eut de l’intérêt pour ses concitoyens et la chose publique. Aussi, je me plais à espérer qu’il prit quelques bonnes décisions, qu’il réalisa quelques actes profitables à tous, qu’il fut digne de la confiance placée en lui. Je n’en saurai rien, bien sûr, mais je suis heureuse pour lui qu’il ait au moins eu l’occasion de faire la preuve de ses talents. Tous n’ont pas eu cette chance !