Un record digne du Guiness Book
Ce matin, seul le silence planait sur la maison quand j’ai ouvert la porte de la chambre. C’est là que j’ai vraiment senti qu’il s’était définitivement envolé pour le paradis des oiseaux.
Deux petits yeux en boutons de bottine, un bec court et quelques grammes de plumes jaunes et grises, Fifi était entré dans nos vies voici… 21 ans.
Grand-Loup et Chérie Louve, alors adolescents, l’avaient offert à leur grand-mère peu après le décès de leur grand-père, en même temps qu’une femelle au jabot coquettement orné d’un collier de plumettes noires. Ils espéraient ainsi égayer sa solitude et la distraire de son deuil, ce dont les deux jeunes serins du Mozambique s’employèrent avec entrain.
L’observation attentive des oiseaux, même en cage, ménage en effet bien des surprises. La dame était bavarde. Très. Et autoritaire. Elle chantait à qui mieux mieux, bien plus fort que son compagnon qui se contentait d’un « cui » en contrepoint opportunément placé au moment où, sans doute épuisée par sa performance, elle se décidait à faire une pose. Elle occupait de préférence le barreau du haut et, toujours, mangeait la première quand on remplissait la mangeoire. Bref, elle portait la culotte.
Un jour d’été que Grand-Loup rendait visite à sa grand-mère, il s’exclama soudain : « Mais ? L’un de tes oiseaux s’est fait malle ! ». Effectivement ! Après avoir changé la litière, Granny avait, ce jour-là, négligé de refermer la porte de la cage et la femelle s’en était allée, s’envolant par la fenêtre ouverte. Fifi, lui, était resté et, pour la première fois, sifflait à tue-tête, solitaire et heureux. Soulagé.
La vie reprit son cours rythmée par le sifflotement plaisant du nouveau célibataire, à qui on crut préférable de ne pas présenter de nouvelle compagne. Jusqu’au jour où Granny, privée de chats depuis qu’on avait découvert les allergies de Grand-Loup et Louve Chérie, estima que, les jeunes adultes qu’ils étaient devenus ne passant plus jamais la nuit chez elle, il était temps de reprendre un chaton. Milord débarqua dans sa vie… et dans celle de Fifi.
Quinze jours plus tard, après deux attentats félins ratés, Fifi débarquait chez nous. Il allait y rester treize ans. Treize ans d’une connivence tissée de couinements interrogatifs, de trilles aériennes, de bavardages complices et de feuilles de salade.
Un tout petit oiseau de quelques grammes dans la maison, c’est une présence discrète, dont on ne mesure pas nécessairement le poids. C’est quand le chant se fait rare, quand le pépiement s’arrête que l’on découvre combien il faisait intrinsèquement partie de notre univers quotidiens.
Depuis quelques semaines, Fifi s’ébouriffait volontiers sur son barreau où il somnolait plus que de coutume, même s’il se délectait toujours avec autant d’entrain d’une feuille de chicon (*) ou de quelques grains de millet, sa friandise préférée. Il s’est éteint hier, tout doucement, comme un petit moteur qui ralentit jusqu’à oublier de battre. Sa petite âme s’est envolée vers le ciel immense ignoré des petits piafs qui passent leur vie derrière les barreaux d'une cage. Il allait avoir 21 ans. Un record qui ne sera pas enregistré au Guiness Book ! Vole, vole, petit Fifi ! Nous te garderons à jamais dans nos cœurs ♥
(*) chicon = endive