Fred Vargas, reine des « reconstitueuses »
Le serment du Jeu de Paume, par Jacques Louis David (1791)
La notion de « reconstitueur » m’a rappelé le dernier Fred Vargas, paru en mars dernier, qui m’a accompagnée tout au long de la phase d’emménagement dans notre nouvelle maison, m’offrant sa vitale touche de dépaysement absolu au terme de journées qui n’étaient que caisses à vider et maux de dos, montages d’étagères et casse-têtes, transports de cartons vers la déchetterie et sempiternelles allées et venues d’homme de métier pour réglages défectueux.
Ah, retrouver Adamsberg, la poétique et insaisissable fantaisie de sa réflexion, ses adjoints tous plus barges les uns que les autres si possible, les enquêtes toujours un peu – beaucoup - bizarroïdes dans lesquelles, tous ensemble ou contradictoirement, ils se lancent et le cheminement finalement efficace de leurs enquêtes ! En fait, je dois au commissaire « pelleteur de nuages » d’avoir franchi le cap dans une relative sérénité de l’esprit et du corps, tant la détente quotidiennement tardive en sa compagnie se révéla efficace.
Donc, un groupe de « reconstitueurs » acharnés occupe une place centrale dans « Temps glaciaires ». Mais, ce n’est pas Napoléon qu’ils tentent de ressusciter, ce n’est pas à l’Empereur qu’ils vouent un quelconque culte, c’est… à Robespierre. L'orateur, pas le tyran. Et les voilà endossant à grands coups de jaquettes et de joutes oratoires fidèlement reproduites les rôles des membres les plus en vue d’une Assemblée nationale où se joua le sort du peuple de France, jusqu’à la chute de l’Incorruptible.
Je ne connaissais pas bien Robespierre : l’histoire de France n’est pas enseignée dans les écoles belges, quand bien même la Révolution de 1789 nous influença durablement. Cependant, les rappels discrets placés dans la bouche de l’érudit commandant Danglard, fasciné par les reconstitueurs au point d’en perdre pour une fois sa confiance absolue dans le flair d’Adamsberg, permettent de suivre l’intrigue sans difficulté et, au passage, d’en apprendre plus long sur l’initiateur de la Terreur. La réflexion plus psychologique de l’auteur sur les risques d’identification outrancière des fans, quel que soit le sujet de leur adoration, n’est pas étrangère à l’intérêt de ce polar aussi habile que malicieux, qui mène ses lecteurs par le bout du nez, à travers des univers aussi différents les uns des autre qu’un club de lettrés férus d’histoire et une île islandaise perdue dans les brumes du Nord, en passant par une étrange propriété proche de Paris qui dissimule bien des secrets, gardés par un fidèle sanglier prénommé Marc... comme « marcassin ».
Nimbée d’un excès d’ombres et d’angoisses, « Un lieu incertain » (2008) aurait pu me détourner de l’auteure du fascinant « Pars vite et reviens tard » (2001), sans doute son sommet. « L’armée furieuse » (2011) m’avait quelque peu réconciliée avec sa plume allègrement surréaliste. Me voici reconquise par ces « Temps glaciaires » (*)
(*) « Temps glaciaires est paru chez Flammarion. Tous les autres romans de Fred Vargas sont publiés par Viviane Hamy.