Un assassinat culturel
Elles ne sont pas belles. Ne dites pas le contraire ! Avec leur carapace venue d’un autre âge (d’une autre planète ?), leur tête de brontosaure, leur grande bouche édentée et leurs pattes de caïman, elles peuvent éventuellement paraître émouvantes (de laideur, de lenteur), mais belles, non ! Pourtant, j’aime beaucoup les tortues. Les vraies. J’en ai eu une dans mon enfance et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont des animaux sociables et sympathiques, recherchant la compagnie des humains et des chats. La nôtre se révéla même pleine de ressources inattendues puisqu’elle franchissait le bref escalier qui séparait le jardin de la courette en culbutant sur le dos à la seconde marche de façon à se retrouver sur ses pattes au niveau de la cuisine, dont elle enfonçait la porte à coups de butoir si d’aventure celle-ci était fermée. Son but ? La chaleur du home sweet home avec, au passage, virée de lait et croquettes dans les gamelles des chats. C’est peut dire que ce phénomène nous a laissé quelques impérissables souvenirs et j’aime à penser que, les tortues vivant centenaires, elle chemine encore de son pas de sénateur dans quelque jardin bruxellois où elle viendrait de prendre ses quartiers d’hiver.
Mais là n’est pas mon propos. Je voulais vous parler des tortues Ninjas, celles auxquelles, paraît-il, on n’échappe pas dans les cours de récréations, des super-héroïnes qui vivent dans les égouts et se gavent de pizzas (la classe !), des justicières masquées solidement ancrées dans la vie de Petit Loup et qui me désolent d’autant plus qu’à leur look guerrier et leur comportement agressif, elles joignent l’ultime vulgarité d’être prénommées Léonardo, Donatello, Raphaëllo et Michellangelo. C’est le crime que je ne pourrai leur pardonner ! Quelle idée imbécile a donc germé dans la tête de leur auteur quand il les a baptisés des noms des quatre plus grands artistes de la Renaissance, anéantissant du même coup toute référence à l’harmonie et à la beauté dans l’esprit des petits. Il pensait assurément faire de l'humour, mais, dès lors qu’ils entendront l’un de ces noms, les enfants devenus grands continueront à penser « tortue Ninja » et non « Joconde », « Saint Marc », « Ecole d’Athènes » ou « David ». C’est la culture qu’on assassine. Parole de grand-mère !