Faut-il brûler Zwarte Piet (2) ?
J’en parlais déjà ici, il y a tout juste un an, dans les tout premiers temps de ce blog. La polémique n’en était alors chez nous qu’à ses balbutiements, mais agitait nos voisins hollandais depuis plusieurs années déjà. Or voilà que l’ONU vient de s’en mêler, lui offrant du même coup une publicité internationale voire planétaire : faut-il brûler Zwarte Piet (« Pierre le Noir », entendez « le Père fouettard ») ? Et sa réponse est non seulement « Oui », mais elle suggère dans la foulée de brûler Saint-Nicolas. La présidente du comité du Haut-Commissariat de l'ONU aux Droits de l'Homme chargée de l'enquête sur le racisme de la figure du Père Fouettard a, en effet, suggéré à la radio néerlandaise de ne garder que la fête de Noël. « Qu'il y a t-il de mauvais à avoir un seul Père Noël ? Pourquoi devez-vous en avoir deux ? », a-t-elle ajouté.
La remarque est d’autant plus piquante qu’elle ne propose pas seulement de balayer d’un revers de main une tradition ancrée dans l’imaginaire enfantin depuis des siècles, mais surtout de la remplacer par le Père Noël qui n’est jamais qu’un succédané païen (et commercial) dudit Saint-Nicolas. Pour preuve, en anglais ne s’appelle-t-il pas… Santa Claus ?
Bon, alors, on peut effectivement gloser sur le racisme sous-jacent d’un personnage de couleur noire censé représenter le Mal puisque, à l’origine, il punissait les sales gosses, alors que le saint évêque de Myre, symbole du Bien, récompensait les enfants sages d’une orange, de friandises et de joujoux. On sait, cependant, que cette image d’Epinal a depuis longtemps évolué pour muer le Père Fouettard en assistant du patron des écoliers lors de sa distribution annuelle. Plus aucun petit, aujourd’hui, ne craint ses coups de martinet. Tous, au contraire, tendent volontiers la main vers les spéculoos qu’il puise dans la hotte lorsqu’on s’en vient saluer le grand Saint.
La véritable question est donc : l’image du Père fouettard, aimable serviteur noir d’un aimable saint blanc (d’origine turque) risque-t-elle d’induire un sentiment de supériorité, donc de racisme, chez les enfants belges et hollandais ? Je n’ai pas la réponse. Il me semble cependant qu’à elle seule la tradition est anodine. Mais il se pourrait qu’elle vienne renforcer des stéréotypes en vigueur dans certaines familles. Dans ce cas, effectivement, peut-être faudrait-il songer à adapter l’imagerie populaire, par exemple en le représentant blanc mais couvert de taches noires symbolisant la suie récoltée lors de son passage dans les cheminées la nuit du 6 décembre. Mais alors, pourquoi diable – n’a-t-il pas toute sa place ici, celui-là ? - Saint Nicolas et le Père Noël ne se salissent-ils pas eux aussi ? En attendant, en quelques jours, plus d’un million de personnes ont soutenu sur Facebook une pétition néerlandaise en vue de préserver le personnage de Zwarte Piet, preuve s’il en est qu’on ne balaye pas une tradition ancestrale d’un coup de baguette magique, fut-ce celle des droits de l’Homme !
Par ailleurs, la question de savoir s’il est pertinent d’avoir « deux Pères Noël » n’est pas dénuée de bon sens. Au siècle des enfants rois, est-il besoin de les gâter outrageusement à moins de vingt jours d’intervalle ? Quand les miens étaient petits, j’avais résolu le problème de la façon suivante : le 6 décembre, Saint Nicolas offre des jouets. Mais une nuit ne suffit pas pour en distribuer à tous les enfants du monde. Alors, ailleurs, le Père Noël prend le relais le 25 décembre. Quant à nous, ce jour-là, nous fêtons la famille autour d’un bon repas et en s’échangeant des cadeaux. Les enfants en reçoivent bien sûr, relativement modestes, de Papa, Maman ou Marraine. Ils ne viennent donc pas du Père Noël, occupé en France, en Angleterre et dans bien d’autres régions du monde.
Dernière réflexion : cette polémique me semble surtout mettre en évidence la dictature croissante du politiquement correct, qui s’exprimait plus clairement encore dans les mots récents d’une anti-Zwarte Piet évoquant à tour de bras les « personnes noires », comme si le simple terme « Noir » l’offusquait. Moi, je veux bien, mais dans ce cas, il faudrait également parler de personnes blanches, brunes ou beurres, de personnes africaines, européennes ou asiatiques, de personnes chrétiennes, juives ou musulmanes, de personnes travailleuses ou chômeuses et pourquoi pas de personnes adultes, jeunes ou enfantines (infantiles ?), de personnes grandes ou petites, de personnes sportives ou sédentaires, que sais-je encore ? Après tout, notre nom à tous est « Personne » !
Photo "7 sur 7" © anp