Le feuilleton de l'été
L’actualité me rattrape ! J’évoquais l’autre jour, à propos de nos ancêtres, le fait qu’on ne peut jamais être sûr que de la lignée cognatique qui remonte par les femmes, de mère en mère, mais qu’il me semblait que cela n’a, pour nous autres descendants, qu’une importance toute relative car, sur le long terme, la culture familiale prime sur la génétique. Or, voilà que Delphine Boël, artiste plasticienne et fille « cachée » mais pas tellement du roi Albert II, vient de citer le souverain et deux de ses enfants, le prince Philippe, héritier du trône, et la princesse Astrid, à comparaitre devant le tribunal de première instance de Bruxelles, afin d’obtenir leur ADN en vue d’une reconnaissance de paternité.
C’est la situation exactement inverse à celle que j’évoquais, puisqu’il s’agit d’une enfant illégitime du père et non de la mère, non pas incluse dans une lignée paternelle qui ne serait pas la sienne malgré l’état-civil mais, au contraire, exclue et souhaitant établir son ascendance paternelle.
Au-delà des aspects juridiques extrêmement complexes vu la personnalité du père putatif, son « inviolabilité » et son « irresponsabilité » garanties par la Constitution, au-delà du timing de la démarche, alors qu’il est de plus en plus question d’une abdication du Roi qui le priverait de son invulnérabilité, la démarche de la jeune femme pose la question du mal-être de l’enfant illégitime en quête de reconnaissance.
Même si elle a été reconnue par le mari de sa mère dont elle porte le nom, même si elle a écrit un ouvrage « Couper le cordon » dans lequel elle disait avoir tourné la page avec son passé, Delphine Boël est mal dans sa peau. Elle l’a dit, cela se voit : son regard est triste, alors qu’elle mène une carrière internationale, a un compagnon avec qui elle semble former un couple heureux et deux enfants.
Depuis que son existence a été révélée en 1999, le Roi s’est toujours refusé non seulement à reconnaître son existence, mais il lui aurait même affirmé au téléphone « Tu n’es pas ma fille », alors que dans son message de Noël 1999, il admettait implicitement les graves difficultés traversées par son couple une trentaine d’années auparavant, sans que cela n'entache en rien sa popularité.
Aujourd’hui, bien loin de ce cordon qui n’a jamais été coupé, Delphine Boël cherche donc à se faire reconnaître par une action en justice et d’aucuns estiment que ses motivations sont pécuniaires : elle chercherait ainsi à bénéficier de sa part d’héritage. C’est possible, mais pas certain du tout. Ne peut-on concevoir que, tout simplement, elle a besoin de savoir et de faire savoir, parce que le silence et, pire encore, le reniement, sont des gifles douloureuses à encaisser par un enfant, fut-il une adulte de 45 ans ?
Quoi qu’il en soit, on tombe dans le sordide. On a même entendu à la radio, hier matin, un député « humaniste » conseiller à demi-mot au Roi de ne pas abdiquer afin de ne pas perdre son inviolabilité. Et alors, quoi ? Condamner le Roi à régner jusqu’à la mort alors qu’à près de quatre-vingts ans et après vingt ans d’un règne globalement positif, il serait en droit d’espérer une retraite bien méritée ?
Il est clair que, comme François Mitterand avant lui, comme le Prince Albert II de Monaco, notre roi Albert II aurait mieux fait de reconnaître l’existence de sa fille lorsque celle-ci fut rendue publique. Après tout, de Louis XIV à Léopold II, bien des monarques ont eu des enfants illégitimes qu’ils ont sinon officiellement du moins officieusement reconnus, leur rendant une précieuse identité de « fils ou fille de… » qui leur permettait de se construire psychologiquement.
Désormais le mal est fait. On a sorti les armes juridiques, les demi-frère et sœur sont impliqués, sauf le Prince Laurent, ce qui fait bien sûr jaser dans les chaumières. C’est le feuilleton de l’été, plein de surprises et de rebondissements. Dommage !