A qui se fier ?
Voici un an environ, alors que j’entame mes recherches généalogiques en entrant sur le site de Généanet les rares données en ma possession via les souvenirs et faire-part familiaux, un autre affilié me contacte par ces mots : « Je pense que nous appartenons à la même famille V. d’Oostnieuwkerke ».
Oostnieuwkerke, un bled manifestement bien de chez nous dont je n’ai jamais entendu parler, mais je constate rapidement qu’il se situe non loin de Langemark dont je sais ma grand-mère paternelle originaire. Quelques précisions plus tard, il apparaît qu’en effet l’arrière-arrière-grand-père de mon correspondant et le mien étaient frères. Cerise sur le gâteau, mon nouveau « cousin » m’apprend qu’il est historien et féru de généalogie depuis plus de trente ans.
Grâce à lui, j’enrichis donc rapidement ma branche paternelle et, comme je stagne du côté maternel, je lui demande quelques conseils pour progresser. En bon historien accro aux sources, il me m’en donne qu’un : s’appuyer sur les actes originaux ! Autrement dit, toujours vérifier les données fournies par les autres internautes et se méfier des relevés en ligne établis dans le cadre de recherches régionales par des bénévoles pleins de bonne volonté mais pas toujours fiables.
Bien reçu ! La France et notamment le Nord viennent de mettre de nombreuses archives d’état-civil en ligne. La Belgique ne tarde pas à suivre son exemple. Dès lors, je peux mettre le conseil de mon cousin en pratique.
Rapidement les tables décennales, les index, les actes eux-mêmes n’ont plus de secrets pour moi. Je me familiarise avec les formules conventionnelles, je décrypte les écritures aux calligraphies plus ou moins élégantes, plus ou moins lisibles, je décode les abréviations, les dates du calendrier républicain… Je sais désormais que « 11/7bre » signifie 11 septembre et non 11 juillet, que « Jph » = Joseph, que le 11 brumaire de l’an 2 fut le 1er novembre 1793. Je tire aussi le fil qui me relie à d’innombrables ancêtres. Nous sommes bientôt près de mille sur mon arbre.
Mais les écueils, les détours, les surprises ne manquent pas. Y compris dans les actes d’état-civil que je pensais garants d’une vérité incontestable.
Ne parlons pas des variations de noms en ces temps où l’on appelait fréquemment l’enfant par son deuxième voire son troisième prénom, avec pour effet de le retrouver tantôt sous un patronyme tantôt sous un autre selon le type d’acte. Ne parlons pas non plus des mutations orthographiques, incalculables en ces temps où nombre de citoyens sont encore illettrés et laissent donc à l’officier de l’état-civil la liberté d’orthographier à sa guise. Mon arrière-arrière-grand-mère UZANAUZ devient ainsi UZANAUX ou UZANNEAU selon les actes dans lesquels elle figure. Une autre aïeule semble porter le nom de DECHAINE, mais son oncle, témoin à son mariage, signe DUCHAINE. GHESQUIERE devient ainsi GUESQUIERE, SYX SIX, VANFLETEREN se mue même en VANDENBERGHE (?).
Plus curieux, plus interpelants sont les variations de dates, les chiffres se prêtant pourtant moins aux interprétations personnelles. Ainsi, la copie de l’acte de décès de mon arrière-arrière-grand-mère Elisabeth produit à l’occasion du mariage de son fils Alphonse la disait décédée en février 1841 alors que lui-même était né en juin de cette même année. Constatant l’impossibilité, l’officier d’état-civil rectifia lui-même en notant « disons février 1847 ». Confusion entre le « 7 » et le « 1 » ? Soit ! Incompréhensible, par contre, l’imprécision de la date de naissance de son époux Jean Simon, mentionné dans ce même acte de mariage ainsi que dans les deux suivants comme « né à Liège le 2 février 1812 » alors que j’ai retrouvé son acte de naissance daté du 15 février 1811 !
Non, décidément, n'en déplaise à mon lointain cousin historien, la généalogie n’est pas une science exacte ! Et ce n'est pas un scoop ! Après tout, on ne peut jamais être certain de la paternité d'un individu alors qu'en ces temps reculés où n'existaient ni la fivette ni la gestation pour autrui, la maternité reste incontestable. Dans l'avenir, avec les nouvelles techniques de procréation assistée, il deviendra de plus en plus difficile pour les généalogistes d'établir les filiations avec certitude. Le flou artistique concernant notre passé deviendra donc la norme. Une page est sans doute en train de se tourner. Une page de registre d'état-civil, en tout cas !