Brèves de sexa

Avoir soixante ans (et des poussières) c’est :

- avoir connu l’école le samedi matin, les congés du jeudi après-midi et se souvenir qu’on ne pouvait pas porter de pantalon, même en plein hiver.

- avoir connu Bruxelles sans l’Atomium, se souvenir de l’éclat éblouissant du soleil reflété par l’acier de ses boules à la première rencontre, s'étonner que, l'autre jour, l'Atomium soit désignée "momument le plus bizarre d'Europe" par la chaîne d'info CNN.

- avoir connu les trams en bois et entendre le « Doorchuiven, alsjeblieft ! » (*) du receveur résonner encore à son oreille.

- avoir découvert Iouri Gagarine, le premier homme dans l’espace, sur l’écran noir et blanc d’une amie dont le père était ingénieur et se souvenir n’avoir pas compris son excitation.

- avoir connu la place de Brouckère avec sa fontaine-obélisque, démontée pour faire place au métro et désormais installée au Marché aux Poissons. Se souvenir que Brel la chantait « au temps où Bruxelles brussellait ».

- savoir exactement où l’on se trouvait et ce que l’on faisait quand on a appris la mort de Kennedy et se souvenir de l’émoi international.

- avoir connu l’ancien grand magasin l’Innovation, superbe bâtiment Art Nouveau de Horta, et se souvenir de ce lundi après-midi pluvieux où une colonne de fumée s’éleva au dessus de la ville, signant l’arrêt de mort de plus de 300 personnes.

- savoir exactement où l’on se trouvait en vacances le 21 juillet 1969 et se souvenir qu’on est allé se coucher plutôt que de regarder à la TV les premiers pas du deuxième homme sur la lune : sa fusée n'était pas aussi belle que celle de Tintin, mais il rebondissait comme lui dans son scaphandre.

- avoir embarqué comme journaliste stagiaire dans un train de supporters surexcités pour assister au Parc des Princes à la deuxième victoire d’Eddy Merckx au Tour de France et se souvenir que, cette année-là, le Canibale avait enfilé le maillot à pois par-dessus le jaune.

- avoir droit à un mammotest gratuit tous les deux ans et être vivement incitée à procéder au dépistage du cancer colorectal. 

 (*) Avancez, s’il vous plaît !

Jacques Brel - Bruxelles

Comments

[mamilouve]

C'est vrai, chaque lieu, chaque événement, est lié à l'émotion à travers laquelle on les appréhende. C'est ce qui fait leur saveur. Et c'est toi, Emma, qui me donnes envie de lire "les années". Merci !

[emma]

je me souviens... de tout ce qui est lié à un ressenti affectif, en tout cas - tu me donnes envie de relire "les années", d'Annie Ernaux

[incarnat]

Je me souviens de tout, y compris t'avoir accompagnée à la gare et te confier à un collègue plus âgé lors de ton expédition dans le train de supporters...Et Jacques Brel, je le revois tel que je l'ai vu à peu près à la même époque; il chantait "Ne me quitte pas..;" au bal de la Police rue de la Madeleine; la salle était noire de monde et j'ai valsé avec des commissaires que ton père surveillait d'un oeil apparemment flegmatique mais perçant!..Où étais-tu, toi, ce soir-là?...La mémoire est un gouffre d'où émergent, quelquefois, des illuminations soudaines.

Lorraine

[Myosotis]

Tout cela est décidément très exotique : voyage dans l'espace pour moi depuis mon petit quartier américain, voyage dans le temps en suivant tes descriptions et les mots de Jacques Brel... Et avec une pointe d'humour, quel bonheur de te suivre !

[patriarch]

Eh oui de bons souvenirs aussi, même si, avec mes bientôt 82 berges, il y a eu la guerre !! Je peux dire que les jeunes n'auront jamais le plaisir de vivre que nous avons eu, surtout les premières années de l'après guerre....



très belle journée !! Aujourd'hui, mon fils aîné prend sa retraite. Il débarrasse ce qu'il a encore à l'usine..... Bises